Critique de livre: La route du lilas d'Éric Dupont
Le tout dernier livre d'Éric Dupont, publié l'automne dernier, a la qualité d'être prometteur. Deux femmes, une québécoise et une brésilienne, se rencontrent à Paris juste avant les évènements de mai 1968. Elles se lient d'amour, découvrent ensemble la ville, la littérature, et certaines douleurs de la vie. Dans ce roman épique qui tangue de la France au Brésil, et de Nashville à la Gaspésie, ce roman est un hommage aux personnages féminins grandioses, et à la fleur peu commune du lilas.
L’auteur québécois Éric Dupont a eu l’automne occupé. En plus de promouvoir son dernier livre, La route du lilas, il s’est également fait connaître du public anglophone. Son roman, La fiancée américaine, datant de 2012, était en lice pour le prix Giller, sous le titre anglais Songs for the cold of heart.
Je me souviens d’avoir commencé la lecture de La fiancée américaine, et puis de ne pas m’être rendue à la fin pour des raisons qui m’échappent. Peu m’importe, c’est après avoir entendu une entrevue avec Dupont que j’ai décidé de lire La route du Lilas aussitôt que la Bibliothèque publique de Toronto allait recevoir sa copie du livre. La fin de l’année est un moment opportun pour entreprendre la lecture d’un livre volumineux aux retournements multiples.
L’histoire de ce livre est construite autour de deux personnages principaux. Pia est brésilienne. Toute jeune, elle s’échappera d’un couvent où elle était malheureuse pour s’enfuir vers Paris avec Thiago, son amoureux de l’époque. Elle y rencontrera Thérèse, notre deuxième star, québécoise vivant sur le bras de son père ô combien fier d’envoyer sa fille étudier à Paris.
Leur jeune destin sera lié, et leur relation connaîtra des hauts, des bas, des moments de lutte et des apprentissages. Malgré la passion qui les unit, elles devront éventuellement se séparer puis retourner à leurs besogne en terre nourricière. Pia repart pour le Brésil, Thérèse pour la Gaspésie, et elle ne se reparleront qu’en lettres et en rêves.
Certains secrets datant de cette époque demeurent enfouis, et c’est en suivant le printemps et l’éclosion des lilas en fleur que nous pourrons défricher les morceaux de l’histoire qui unit Pia et Thérèse. Maintenant d’un âge avancé, Pia s’est élancée sur la route du lilas en compagnie de deux camarades de route, Shelly et Laura, qui suivent le lilas de façon annuelle. Elles croient que le parfum du lilas est l’accessoire olfactif idéal pour libéré les souvenirs et créer une ambiance propice à l’écriture. Pia voyage avec elles à bord de la Menace Mauve, un camping-car aux couleurs criardes.
La deuxième partie du livre sera réservée aux histoires connexes, voire parallèles de Simone, la fille de Pia, et de Rosa, la fille de Thérèse. L’une est réalisatrice de télévision à Rio de Janeiro, et l’autre est travailleuse sociale à Montréal. L’une ne parle plus à sa mère depuis une décennie, et l’autre a perdu sa mère il y a plusieurs années déjà, et elle lui manque beaucoup.
La force de ce roman est dans la mise en scène géographique. On sent chez Dupont une conscience aiguë de l’espace et du territoire. Que ce soit dans ces descriptions de la demeure de Pia, complexe de l’architecte Oscar Niemeyer qui était, à l’époque, une constriction idéale pour favoriser la mixité des classes sociales à Belo Horizonte, dans la province brésilienne du Minas Gerais, ou dans l’odeur des gaz lacrymogènes des manifestations étudiantes à Montréal en 2012, Dupont capte le lieu comme peu d’auteurs savent le faire.
Un à côté, cependant. Les personnages de Pia et Thérèse sont attachants. Elles ont une histoire unique, des vécus étonnants, et une liaison magique. La narration détourne leur regard d’elles lors de la deuxième moitié du livre au profit de Rosa et de Simone. Je ne crois pas que cela serve bien le fil narrateur, et en fait, j’avais le sentiment de regretter la partie du roman où Pia et Thérèse étaient les personnages principaux. Le récit se complète de façon harmonieuse, au final, mais non sans certaines longueurs.
Un deuxième à côté, cependant. Les références politiques de ce roman étaient, pour moi, d’un grand intérêt. Dans la première partie, nos jeunes protagonistes sont obsédées par Simon de Beauvoir. Elles lisent ses livres avec voracité, idéalisent sa vie amoureuse, et se comptent chanceuses d’habiter le même Paris que le couple Sartre et Beauvoir. Elles seront marquées par cette période, puisque Thérèse deviendra syndicaliste dans une usine de pâte et papier en Gaspésie, et Pia deviendra professeure de littérature, engagée et connectée aux mouvements de gauche du Brésil. Rosa, plus tard, participera aux manifestations étudiantes à Montréal, traînera avec elle la copie de Le Capital de sa mère. Mais le langage employé pour décrire ce militantisme est parfois forcé, externe, et manque de sincérité.
Le roman reste quand même une belle et longue aventure où les femmes sont à l’honneur, où leur résistance est inébranlable et leurs liens durent des vies entières. Dupont réussit a être loufoque et à intégrer des histoires complètement éclatées, comme l’épisode où Pia flotte en apesanteur après s’être libérée, par l’écrit, d’un fardeau qui pesait lourd sur elle, où l’épopée d’une centaine de pages qui raconte l’histoire de Léopoldine, princesse autrichienne adorée des brésiliens.
C’est fou, c’est drôle, c’est sensible et fascinant. La route du lilas est une belle aventure qui parle de la vie et de plein de choses, et qui est un grand plaisir à lire.
4/5