Critique: Chanson douce de Leïla Slimani

Littérature inspirée d'un fait divers, Chanson douce a bien été reçu et reconnu par la critique en France. Le deuxième roman de l'auteure et journaliste Leïla Slimani a remporté le Prix Goncourt en 2016. Dès les premières pages, le dénouement tragique est connu du lecteur. La suite du livre tentera de déconstruire les mois précédents, ce qui donne une lecture intense et haletante.

Critique: Chanson douce de Leïla Slimani
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Le début du récit s’impose : deux enfants sont morts, tués par leur nounou qui les avait à charge. À partir de ce moment, la narration remonte dans le temps et Chanson douce explique les mois menant à la tragédie. La nounou en question, c’est Louise. Les parents sont un couple professionnel qui a des moyens. Ils s’avancent à pas hésitants dans cet effort de trouver une nounou. La mère souhaite retourner au travail, et ensemble ils commencent le processus par lequel ils choisiront une personne de confiance, une étrangère, à qui confier le soin de leurs enfants. Louise décroche l’emploi et affectionne bien les enfants. La situation initiale paraît assez commune et fort stable, mais cache les failles d’un monde de plus en plus inégal. Alors que Louise fait de plus en plus partie de la famille, les parents lui délaisseront de plus en plus de tâches. S’ils peuvent se remettre à sortir avec des copains le vendredi soir, c’est que Louise accepte de rester. S’ils peuvent partir en voyage en famille pour prendre des clichés sur le bord de la mer, c’est que Louise accepte de venir et de s’occuper des petits. Sous cette parfaite image de la famille moderne se cache un grand malaise. Qui porte le poids du noyau familial et de la rudesse de la vie quotidienne, dans ce monde? La vie de Louise à l’extérieur de la maisonnée laisse deviner les traces d’une précarité de longue date. Des conflits avec son propriétaire de logement, une fille adolescente à qui elle parle peu ou pas du tout, des relations qui sèment le doute sur la vie et les motivations de Louise. Le malaise existe : entre la richesse et la pauvreté, entre les classes moyennes établies et les classes précaires, entre le monde rêvé des familles blanches de France et la réalité de ceux qui travaillent dans l’ombre. Le récit est intense et choquant. Il s’agit de la vie de deux bambins auxquels nous nous attachons, comme il se doit. L’écriture marque. Le ton de Slimani est quasi neutre, presque sans sentiment. Comme la rédaction d’un fait divers, elle ne fait usage que des faits, de phrases qui font l’unanimité. Or, c’est dans ce ton distant que l’œuvre prend toute son sens. En tentant de décrire une chose extraordinaire, Slimani met le doigt sur une réalité trop souvent bien ordinaire pour tant de personnes marginalisées. Au travers les pensées, les comportements de Louise, nous comprenons le clivage qu’il existe entre les gens aisés et les moins nantis. Chanson douce est une porte d’entrée dans le style coup de poing de Slimani. À lire, pour un public averti. 4/5

Chanson Douce de Leïla Slimani