Critique: Dieu n'habite pas La Havane de Yasmina Khadra
Yasmina Khadra est un auteur algérien qui a publié bon nombre de romans au cours de son œuvre. Son dernier livre, Dieu n'habite pas La Havane, élève la capitale cubaine au statut de personnage vibrant et coloré. Chaque page de cette histoire rend hommage à La Havane, à sa musique, à ses quartiers, et à ses résidents, sans manquer de mettre en évidence les nombreuses contradictions qui y prennent place.
Juan, surnommé Don Fuego, est chanteur au Buena Vista Café, un établissement qui présente des concerts pour les touristes de La Havane tous les soirs. Dans ses propres mots, Don Fuego enflamme les foules avec sa voix chaude et ses rythmes entraînants. Il se vante d’avoir brillé pour Fidel Castro lui-même, et pour nombreux hauts placés du gouvernement au cours de sa carrière prolifique. Dès les premières pages du roman, on apprend que le Buena Vista Café vient d’être vendu à un particulier, une femme richissime de Miami. Comme la plupart des établissements à Cuba, celui-ci était public. La privatisation de son milieu de travail met Juan dans une situation de panique. Pendant des décennies, il a assuré le succès du club, avec des centaines de photos avec touristes épris de lui pour le prouver. Étant musicien d’état, il doit maintenant se présenter au comptoir des artistes pour voir où il sera affecté dorénavant. Sa vie bascule. Du jour au lendemain, il ne peut poursuivre son gagne-pain principal qui, de plus, est pour lui une véritable vocation. Sans microphone en main, Juan ne peut exister. Son âge le trahit : à près de 60 ans, comment fera-t-il pour retomber sur ses pattes? En plein dans ce moment de transition, une rencontre se mettra sur le chemin de sa vulnérabilité. Il croise Mayensi, une jeune femme, qui entrera dans sa vie et en changera le cours. Au début, Juan l’aide à surmonter certains soucis et l’invite à loger dans sa demeure. Sa sœur y héberge une douzaine de membres de sa famille élargie. Dans cette maison, on la soigne, on la nourrit, et on s’assure qu’elle puisse avancer à la prochaine étape de sa vie. Juan se prendra d’affection pour cette femme mystérieuse qui a quitté son village de pêche natal sur la côte. Elle a un passé trouble, un avenir incertain, et Juan s’attache rapidement à sa présence. Le lien qui les unit aura les traits d’une montagne russe. Juan sautera à pieds joints dans la poursuite de cet amour, la seule composante de sa vie qui lui chante et lui donne de l’espoir. Certains moments de l’intrigue paraissent tirés par les cheveux. Juan, par exemple, est un personnage imbu de lui-même qui ne semble pas tirer les leçons de ses échecs passés. Le fait que seule une femme qui a le tiers de son âge a su le soustraire, au passage, de son obsession avec la musique, est aussi quelque peu cliché. Un mot sur l’écriture de Khadra : le rythme de ce roman est rapide et soutenu. La lecture se fait sans effort, et le langage est fleuri, léger, et à l’image de la ville. Quiconque a visité La Havane, ou qui rêve de le faire, sera épris des descriptions de la ville. Khadra capture bien l’esprit qui s’y retrouve en relatant les longs matins langoureux, les cafés et autres boissons consommées sur une terrasse, et les soirées de danse et de musique. Ce livre ne pourrait mieux tomber : à l’heure actuelle, Cuba est en pleine transition, les règles de l’embargo américain changent, l’avenir fera place à de plus en plus de privatisation et, comme partout ailleurs, les gens tentent de joindre les deux bouts. Yasmina Khadra dresse un portrait admirateur et tout en contrastes de La Havane et de Cuba.